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LES BORDS DE MER

 

La réhabilitation de site industriel en front de mer est une action régénératrice qui va dans le sens de l'évolution de la ville. Il s'agit de réparer des paysages portuaires altérés pour générer de nouvelles activités. Ces sites industriels délaissés sont actuellement des secteurs aux fonctions, programmes et conceptions indéterminés et parfois même obsolètes, souvent des trous noirs dans les cartes mentales des villes, mais ils sont aussi des vides avec un grand potentiel. La délocalisation et les changements fonctionnels des ports, qui à l’époque industrielle constituaient un élément clé du développement économique des agglomérations portuaires, engendrent une réelle dissociation entre la ville et son port. (Charlier, 1992) Véritable phénomène de rupture perceptible au sein même des espaces maritimes, ces friches industrielles deviennent rapidement des barrières urbaines, voire même des éléments d’encombrement, créant ainsi une détérioration physique et sociale du tissu urbain. Cette désorganisation et le délaissement progressif de ces zones ont de nombreuses conséquences pour les villes : dévalorisation de l’espace portuaire, pollution des sols, image négative des lieux, baisse significative des emplois et de la population dans le secteur touché ainsi qu’une chute des rentrées fiscales. (Chaline, 1994)

 

 

LES ENJEUX DU RÉAMÉNAGEMENT DES VILLES PORTUAIRES 

 

Une frontière urbaine

 

Le réaménagement des zones portuaires comporte plusieurs enjeux dont il est nécessaire d’en saisir les impacts avant même de considérer toutes interventions urbaines. La vision de ce type d’aménagement doit se pencher sur le problème de « frontière urbaine » que représentent les zones portuaires. En effet, ces anciennes zones à caractère industriel constituent une limite paysagère entre deux éléments importants du portrait des espaces riverains, c’est-à-dire la ville et l’eau.  Le réaménagement de l’interface ne doit donc pas viser à déplacer cette frontière urbaine afin que l’urbanisation étende son emprise sur l’espace portuaire et en engendre sa disparition. Il doit plutôt causer une valorisation mutuelle de l’interface maritime et urbaine grâce à une configuration en respect des spécificités fonctionnelles et paysagères de chacun de ces types de territoires. (Grether, 1994) Le phénomène du développement des périphéries urbaines au détriment des centres étant un important enjeu contemporain, une mutation prônant le retour vers les centres fait aujourd’hui partie des objectifs de design urbain. À ce sujet, les projets de développement des fronts de mer peuvent ainsi se présenter comme étant un moyen de recentrer et de polariser l’agglomération pour contrebalancer un certain éclatement et une dispersion des flux. En effet, ceux-ci peuvent faire apparaître une toute nouvelle centralité comportant une concentration de nouvelles fonctions mieux adaptées aux récentes dimensions urbaines, ce que les centres-villes traditionnels ne sont plus aptes à produire. (Chaline,1994) Bref, le contact entre la ville et l'eau ne doit pas seulement être perçu comme la limite de la ville, mais plutôt comme un réseau capable d'améliorer le rôle socio-économique de la ville à l'échelle nationale ou même internationale (O.Giovinazzi et S.Giovinazzi, 2008)

Ports de Fredericia en 1955 | Source: Fredericia historie

La quête d’une image positive

 

Le réaménagement de l’interface urbano-portuaire doit également se pencher sur la problématique de l’image négativement perçue du lieu.  Ces zones délaissées, étant donné leur décalage avec le système urbain représentent une enclave de désolation pour la population urbaine, qui n’assiste à nulle autre que le déclin de leur port. Cela a pour effet d’engendrer une situation de crise face à l’incompatibilité de l’interface portuaire avec le dynamisme de l’image de développement de la ville. « Ainsi, faute d’une image de substitution, les friches constituent un véritable traumatisme identitaire pour les villes portuaires dont les habitants, en percevant dans l’espace autrefois actif une image de désolation, développent une véritable nostalgie vis-à-vis de l’activité passée. »  (Picheral, 1991) L’image globale de l’abandon des zones industrielles portuaires peut encourager la communauté à les considérer comme étant des éléments indésirables, enlevant ainsi tout attrait pour le lieu, notion importante pour les investisseurs œuvrant dans le réaménagement des propriétés portuaires. Conséquemment, ce découragement se dépeint également au niveau du secteur public en les dissuadant d’investir d’importantes sommes d’argent pour des travaux d’infrastructures précédant la plupart du temps toute construction privée. (Marshall, 2001) Le réaménagement de ce type de zones devient ainsi une occasion de valoriser un territoire central répulsif, en redynamisant son interface et en redéfinissant au sein de la ville portuaire les relations entre la ville et son port.

 

 

Piège du pittoresque

 

La question du développement de l’interface portuaire soulève également un risque de type organisationnel et conceptuel en ce qui a trait aux formes et à la signification de celles-ci, qui découleront directement de l’intervention. En effet, lorsqu’intégrés à un milieu urbain et ne possédant ainsi plus leur utilité, ces friches portuaires deviennent des éléments figés dans le temps et muséifiés deviennent de véritables curiosités axées sur un passé regretté. (Chaline, 1994) Il devient donc pratique commune de se servir de l’histoire du lieu comme outil marketing urbain pour faire en sorte de redonner une image maritime nostalgique, dans le but d’attirer une affluence touristique. Cette relance patrimoniale se manifeste souvent par un recyclage économique du passé, c’est-à-dire à la reconversion d’anciens bâtiments dans le but de répondre à des usages modernes. (Baudouin, 1993) Or, il s’agit là d’une erreur au point de vue de l’aspect durable que devrait viser le réaménagement des espaces portuaires. Cette promotion de l’image du réaménagement à caractère historique, appuyé par des intérêts économiques plus ou moins durables, n’engendre nulle autre qu’une mise en scène pittoresque entretenant une nostalgie du lieu. Cette situation devient rapidement néfaste pour la ville qui doit plutôt tenter de valoriser le caractère maritime et portuaire de ce type d’espaces afin d’en faire un facteur qui le différencie de celle-ci, et ainsi en diffuser une image plus facilement identifiable. Le véritable enjeu de la réorganisation des interfaces portuaires consiste plutôt à représenter l’histoire du lieu et sa vocation portuaire, sans toutefois l’opposer à une opération tournée vers l’avenir. (Baudouin, 1993)

Picturesque Port Washington | Source: Lakeandboating

STRATÉGIES ET PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DESIGN EN FRONT DE MER

 

L’organisation des usages

 

La recomposition des interfaces portuaires délaissées est souvent fonction d’un contexte socio-économique particulier de la ville. Lorsqu’un environnement anciennement portuaire fait l’objet d’un réaménagement axé sur le caractère maritime du lieu et une relation indirecte subjective avec la proximité de l’eau, plusieurs grands thèmes en lien étroit avec l’objectif de valorisation du projet peuvent être exploités. (Vallega, 1991)

 

D’une part, lorsque la réorganisation s’engendre autour de l’environnement et des loisirs, il s’agit souvent d’une forte demande des habitants afin d’améliorer leur cadre de vie. Il y est alors priorisé une conception axée sur des fonctions récréatives et ludiques afin de « consommer l’environnement ». Il s’agit également d’une occasion d’accueillir des fonctions portuaires référant à un environnement maritime apprécié, tels les marinas, quais et gares maritimes pour les croisières. (Chaline, 1994) L’eau devient ainsi un support naturel et élément propice aux loisirs contemporains : promenades, parcs, restaurants, commerces, etc. La constitution des espaces ouverts est prônée par un esthétisme et un traitement architectural au langage public et urbain.

 

Ensuite, le réaménagement en front de mer peut viser une stratégie axée sur la culture, grâce à la promotion et à l’intégration d’un amalgame d’activités culturelles participant à la nouvelle dynamique de la ville portuaire. (Chaline, 1994) Il s’agit d’une optique qui permet de renforcer le projet par un volet identitaire pouvant représenter un important atout et un facteur de développement puissant. Les villes portuaires ont ainsi intérêt à faire valoir leur spécificité culturelle afin d’attirer des flux, sans toutefois devenir des métropoles régionales indistinctes. (Baudoin, 1993) Ces villes peuvent dès lors appuyer leur développement sur la portée de leur passé industriel et maritime afin de promouvoir un certain patrimoine, sans toutefois baser leur stratégie uniquement sur un volet historique qui peut rapidement être néfaste et porteur d’images névralgiques. (Beaudoin, 1993)

 

 

Composantes essentielles d’une opération de réaménagement portuaire

 

Dans le même ordre d’idée, il existe trois grands facteurs, considérés comme des éléments essentiels à l’exploitation d’un secteur riverain afin de réaliser une trame faisant preuve d’une complexité urbaine, objectif principal d’une réorganisation en front de mer. (Giovinazzi et Moretti, 2010)

 

Tout d’abord, le projet de l’interface riveraine doit comprendre une pluralité des fonctions assignées au bord de mer, de sorte qu’il y ait une étroite relation entre la régénération de l’espace riverain et le reste de la ville. L’espace riverain doit donc être complémentaire au reste de la ville, mais peut s’y différencier de par son rôle. En d’autres termes, il s’agit d’assigner au bord de l’eau la tâche de maintenir son caractère frontalier entre l’eau et la ville, tout en renforçant les attributs de la zone centrale, qui est étroitement liée au cœur de la ville. (Bruttomesso, 2001)

 

Ensuite, il s’agit de faire un choix judicieux d’une mixité des activités offertes sur le site. Le projet doit assurer la présence d’un bon mélange des fonctions issues de différents secteurs d’activités urbaines ; économiques, productives, résidentielles, culturelles et récréatifs ainsi que ce qui a trait à la mobilité. Il est d’autant plus crucial de s’assurer qu’il n’y ait pas présence d’une dominance d’une seule fonction ou de dualité consolidée qui contribue à la perte des qualités urbaines d’une espace urbano-portuaire. (Bruttomesso, 2001) Afin d’éviter ce phénomène, il est possible de régler certains paramètres. Il doit y avoir un nombre suffisant d’activités significatives aux usages traditionnels et culturels du lieu, telles la pêche, la baignade ou la navigation. Tout cela dans l’optique d’alimenter la mémoire de l’espace maritime et de préserver les traces et l’identité du lieu dans l’esprit des habitants. (Bruttomesso, 2001) Ensuite, il doit y avoir un certain nombre d’activités productives compatibles avec le contexte, dans le but d’assurer la diversification de l’économie de la zone, c’est-à-dire l’innovation et la production traditionnelle. Ensuite, il est important d’instaurer un quota de grain résidentiel et commercial, afin de ne pas privatiser le secteur riverain ou de lui donner un caractère trop touristique et artificiel. (Bruttomesso, 2001) Il est également nécessaire de favoriser la lisibilité de l’espace et des itinéraires afin de faciliter le développement et les relations entre les différentes activités, plutôt que de les séparer. Cela peut s’articuler en encourageant les transits entre les fonctions à même le parcours piéton public.

 

Finalement, le projet de réaménagement portuaire doit inclure une présence simultanée du domaine public et du domaine privé. Les fonctions le long des activités maritimes peuvent être gérées par des instances publiques, telles les institutions gouvernementales et les structures muséales et culturelles, ou bien par le secteur privé, tels les hôtels, les structures commerciales ainsi que les lieux de divertissement. (Bruttomesso, 2001) Ensuite, les espaces doivent aussi refléter cette relation à travers leur configuration. Il doit ainsi y avoir présence de zones ouvertes publiques traditionnelles, tels les « plazas », les promenades, les parcs publics, les sentiers piétons ainsi que les pistes cyclables, et d’espaces contrôlés par le secteur privé, tels les jardins, les clubs, les terrains de jeux privés et bien d’autres. (Bruttomesso, 2001)

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